Bordighera-panorama

Violet Trefusis – Épisode 7 – La chute

Vita impose à grand-peine une séparation de deux mois à Violet qui part avec Denys pour un périple de quelques semaines dans le sud de la France. Violet trouve la situation injuste et ne comprend pas pourquoi elle se voit infliger une telle punition. Elle a pourtant essayé de tout avouer à Vita, la veille de leur départ pour Lincoln. Désespérée, Violet lui envoie des lettres et des télégrammes par rafales. Elle implore son pardon et tente de s’expliquer, promettant qu’avec Denys, ce soir-là, ils n’ont partagé qu’un vague moment d’intimité. Violet pensait alors le quitter pour toujours et s’était persuadée qu’elle lui devait quelque chose. Ou du moins, c’est ce que Denys lui a fait comprendre. Violet a cédé, de peur qu’il l’empêche de s’enfuir avec Vita. « C’était une sorte de prix à payer ; je ne sais pas, mais je crois que c’est comme ça qu’il le voyait lui aussi ; il n’a jamais été comme ça auparavant » 1.

La relation entre Violet et Denys est devenue détestable, haineuse et empreinte de violence. Éprouvé par l’épisode d’Amiens et les conflits incessants avec Violet, Denys est très malade. Il souffre de tuberculose qui n’a pas encore été diagnostiquée. Violet refuse de s’occuper de lui.

Toulon

Dépassé, Denys appelle à la rescousse Alice et George qui les rejoignent à Toulon. Denys est déterminé à demander l’annulation de son mariage. Pour Violet, une telle procédure entraînerait un examen médical visant à vérifier que le mariage n’a jamais été consommé. Pour se débarrasser de Denys, Violet est prête à subir cette humiliation, mais Alice s’oppose toujours à toute idée de séparation ou de divorce. Elle veut que Denys et Violet fassent un long voyage à l’étranger, le temps de se faire oublier.

Toulon-1910
Toulon vers 1910

Pour obliger Violet à lui obéir, elle menace de couper totalement les ponts avec elle et de ne lui octroyer qu’une pension annuelle de six cents livres. Violet dispose d’un délai de vingt-quatre heures pour se décider. Pour l’impressionner, Alice lui annonce qu’un avocat venu d’Angleterre est en route pour Toulon afin de formaliser sa proposition financière. Violet écrit à Vita qu’elle ne s’est jamais sentie plus surveillée et prise au piège de toute sa vie. Vita reste silencieuse.

Violet supplie à genoux Alice de la laisser divorcer. Impitoyable, Alice l’avertit qu’elle ne lui adressera plus jamais la parole si elle refuse de vivre avec Denys. De toute façon, Violet n’est déjà plus la bienvenue à Grosvenor Street. Quant à l’offre des six cents livres de pension, elle n’est plus sur la table.

Vaincu à son tour par la détermination d’Alice, Denys tente de trouver un compromis avec Violet. Il affirme avoir renoncé à l’annulation de leur mariage pour protéger Sonia et ses fiançailles avec Roland Cubitt. Il exprime des regrets pour avoir fait venir Alice et George à Toulon en cachette de Violet et se déclare déterminé à regagner sa confiance. Tous deux partent pour Bordighera, en Italie, où Violet a été autorisée par ses parents à séjourner en compagnie de son amie, Pat Dansey.

Les représailles

Violet est désormais très isolée. Malgré ses timides tentatives pour se réconcilier avec sa famille, ni ses parents ni Sonia n’acceptent de renouer avec elle. Livrée à elle-même, égarée dans un autre monde, Violet parie de grosses sommes au casino, se fait voler de l’argent et perd ses bijoux. La trêve avec Denys ne dure pas longtemps. Jaloux, il brûle les lettres de Vita. Pour se venger, Violet détruit le roman qu’il était en train d’écrire. Denys jette l’éponge et part s’installer dans un hôtel à Monte-Carlo.

En Angleterre, Victoria s’emploie à ruiner définitivement la réputation de Violet en répandant le bruit qu’elle a tenté de briser le mariage de Vita et d’Harold. Elle parvient également à convaincre Vita de renoncer à la publication de « Challenge » par peur du scandale. Violet est blessée par ce renoncement qu’elle interprète comme un reniement de leur histoire d’amour.  

Vita devient de plus en plus distante. Elle rumine la débâcle d’Amiens et l’incident avec Denys qu’elle considère comme une infidélité de la part de Violet. Jalouse jusqu’à l’obsession de Denys et même de Pat Dansey, elle ne cesse d’accuser Violet de lui mentir. Après de longues tractations, Vita et Violet se revoient enfin, après six semaines de séparation. Elles se retrouvent à Avignon, font une étape à Bordighera puis se rendent à Venise. Les tensions sont vives et les disputes incessantes. Durant son séjour, Vita s’est rapprochée de Pat qui était jusqu’ici la fidèle alliée de Violet. Séduite par Vita, Pat commence à la flatter et à tout faire pour s’attirer ses bonnes grâces.

Le retour en Angleterre

En avril 1920, Vita et Violet retournent en Angleterre chacune de leur côté. Alice a vendu le « Stonewall cottage », et Violet n’a pas d’autre choix que de s’installer à Grosvenor Street où personne ne veut d’elle. Alice refuse toujours de lui parler. Quant à George, il souhaite que Violet ne soit plus acceptée dans la demeure familiale que sur invitation.

Violet doit déménager à « Dower House », une maison trouvée par Denys à une soixantaine de kilomètres de Londres. « Une merveilleuse combinaison de tout ce que je déteste : cela touche presque au génie », commente Violet qui se sent à la merci de Denys. Elle redoute de le mettre en colère et qu’il tente par pure vengeance de la brouiller définitivement avec sa famille. Denys contrôle ses sorties, lui tord le poignet pour la forcer à lui dire « bonne nuit, chéri », la frappe au visage pour avoir exprimé de l’affection à l’égard de Pat Dansey et brûle à nouveau des lettres de Vita.

L’angoisse et les tensions commencent à éprouver Violet physiquement. Elle souffre de palpitations, dort mal et se réveille trempée de sueur. Socialement, elle est ostracisée. Pat Dansey lui confie que les rumeurs ont atteint un tel pic que plus aucune « personne décente » ne la laisserait entrer chez elle. Et si Violet devait vivre seule, sans la protection de la famille, plus personne ne l’approcherait.

Violet voit très rarement Vita. Elle s’interroge :

Qu’est devenu notre amour ? Une chose altérée, mutilée et retorse faite de plaisirs furtifs et de fausses générosités, de viles impulsions et de rapprochements affamés. Mais à mes yeux, le pire de tout, c’est son hypocrisie flagrante et dévastatrice. Par notre habile perversion – non seulement la nôtre, mais celle de notre entourage – la lâcheté devient de la prudence, l’égoïsme est appelé amour, les dérobades fallacieuses sont supposées être de la « bonté », la mesquinerie, l’aveuglement, et la jalousie deviennent autant de manifestations de « l’amour ». Bien entendu, je me blâme tout autant que toi – et je blâme nos circonstances plus que tout. Aucun amour ne pourrait s’épanouir sainement dans de telles conditions.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Une punition interminable

Tandis que Violet est rejetée par tout son entourage, Vita a repris une vie paisible auprès d’Harold. Sa réputation n’a pas autant souffert que celle de Violet. Elle continue à recevoir des invitations, n’a pas perdu d’amis et bénéficie du soutien et de l’affection de toute sa famille. Violet se plaint de l’injustice de la situation : « C’est comme si deux voleurs avaient été pris sur le fait, mais qu’un seul d’entre eux avait été jeté en prison », explique-t-elle 1.

Lorsque Vita affirme que leur amour est désormais altéré et corrompu et qu’elle ne peut plus faire confiance à Violet, celle-ci manque de s’évanouir à cause d’une crise d’angoisse. Vita l’accuse constamment de mentir, et Violet commence à douter d’elle-même.

Pourtant, Vita refuse toujours de rompre définitivement. Violet tente le tout pour le tout dans l’espoir que Vita clarifie la situation :

Je veux écrire la lettre la plus sérieuse que je ne t’ai jamais écrite. Je sais que tu tenais et que tu tiens encore à moi, mais j’ai la conviction inébranlable que tu tiens aussi à d’autres personnes. Dieu sait que je ne t’en blâme pas ! Je ne blâme ni ne condamne. Tout je que je veux, tout ce que j’implore, c’est que tu me dises, quel qu’en soit le prix, la vérité pleine et entière. Je te supplie de ne pas traiter cette partie de ma lettre de façon évasive, comme tu le fais d’ordinaire. Si je dois être blessée, fais-le une bonne fois pour toutes. Ne joue pas avec moi comme un chat avec une souris. C’est infiniment plus cruel qu’un coup de grâce. Au nom de notre amour j’en appelle à ce qu’il y a de meilleur en toi pour me dire la vérité – d’être courageuse et de me dire la vérité. C’est cette incertitude qui me torture jusqu’à me rendre à moitié folle, jusqu’à ne plus savoir ce que je fais. Décide ce que tu veux – tu ne peux pas avoir les deux. (…) Tu dis que je ne suis pas généreuse. Tu ne pourras plus le dire. Je ne ferai pas les choses à moitié. Ô, chérie, je voudrais revenir en arrière – je déteste les méchancetés et les mensonges et les tromperies. Je suis profondément désolée pour tout ce que j’ai fait. Je suis profondément repentante. Je voudrais reconquérir tout ce que j’ai perdu. Je voudrais être aussi pure que lorsque j’avais seize ans. Je veux surtout être bonne pour toi. Si tu es malheureuse, il serait préférable que tu m’abandonnes, même si cela me briserait le cœur. Cela me tue d’écrire ces mots, mais tu te dois à ta famille – si tu penses que c’est la chose à faire, tu devrais me laisser tomber. (…) Je me suis battue toute la nuit et toute la journée avec mon égoïsme et je crois que j’en suis enfin venu à bout. Je t’aimerai jusqu’à ma mort, quoi que tu fasses. Que dieu te bénisse et te rende heureuse, ainsi qu’Harold.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Le mariage de Sonia

Le mariage de Sonia est fixé au 15 novembre 1920. Les relations de Violet avec sa famille ne s’améliorent pas. Lorsqu’elle entre dans une pièce, George se lève et sort sans un mot. Sonia lui confie qu’elle la méprise, à la fois en raison de ses sentiments pour Vita, mais aussi la façon dont elle traite Denys. Alice harcèle Violet et l’humilie en public :

Sa haine non déguisée à mon égard est une chose terrible. Et elle aime montrer aux autres à quel point elle me déteste… Elle a des intuitions diaboliques… Elle sait exactement ce qu’il faut dire pour me blesser… Elle me regarde souffrir et sourit avec cruauté… Cela doit l’amuser.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989
Sonia-Keppel
Sonia, vers 1920. Source inconnue

Si Violet ne s’enfuit pas avec Vita, Alice est prête à se montrer généreuse. Une fois Sonia unie pour de bon à Roland Cubitt, Violet pourrait finalement être autorisée à annuler son mariage. Mais en échange, elle devra passer cinq ou six ans à l’autre bout du monde, en Jamaïque par exemple, avec petite pension et une gouvernante pour seule compagnie.

Violet perd tout espoir de vivre en Angleterre:

Je ne pourrais pas vivre dans le même pays qu’elle [Alice], sans parler de Sonia, sachant que si je vivais avec toi [Vita] (ce qui se terminerait en désastre) ou près de toi, cela l’insulterait d’une façon toujours plus irrévocable, et cela la ferait me haïr un peu plus chaque jour. Il n’y a rien à gagner et tout à perdre en restant en Angleterre.  

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

La dernière escapade

En janvier 1921, Vita et Violet partent pour Hyères et Carcassonne. À leur retour en Angleterre, en février, elles reçoivent un accueil très différent. Soulagé de la retrouver, Harold lui ouvre les bras. Avec leurs enfants, ils se rendent à Knole pour un séjour en famille.

Pour Violet, la situation est bien plus difficile. Denys ne répond plus à ses lettres. Il a l’intention de demander le divorce et menace les Keppel et les Sackville-West d’un procès qui ruinerait leurs réputations. Les deux familles ont en tête le récent et scandaleux divorce d’Ernest et Una Troubridge, où l’amante d’Una, Radclyffe Hall, la future autrice du « Puits de solitude », avait été citée comme témoin et désignée comme responsable de la séparation du couple.  

Alice et George veulent déshériter Violet pour de bon. Sonia attend son premier enfant ; ses beaux-parents sont furieux à cause du scandale. Alice accuse Violet d’avoir déshonoré toute leur famille. Elle lui interdit de voir quiconque et lui impose la présence constante d’une gouvernante qui a pour instruction de l’espionner et de détruire toutes les lettres de Vita.

Pour tenter d’apaiser Denys, Violet se rend chez les parents de celui-ci en compagnie de sa gouvernante. Avant même d’atteindre leur maison, elle est interceptée par la mère de Denys qui lui ordonne de faire demi-tour.

En mars 1921, Violet accepte avec réticence de consulter un avocat qui lui conseille de mettre fin à sa relation avec Vita. Celle-ci, affirme-t-il, est de toute façon décidée à rompre et à retourner à sa vie de famille. Violet cède à la panique et manque de s’évanouir. Elle envoie des lettres amères à Vita où elle se plaint de la différence de traitement qui leur est réservé. « Comme tu as de la chance d’être avec quelqu’un qui tient à toi et qui est soucieux de t’épargner et de te protéger le plus possible » 1.  

Alice veut que Violet parte vivre à l’étranger, à Paris, n’importe où. Elle réduit la pension qu’elle lui verse, vend la « Dower House » et tout ce qu’elle contient. Violet n’est autorisée qu’à garder quelques effets personnels. Dans ce milieu social où l’argent et les possessions définissent la place de chacun dans le monde, cette décision est une véritable brimade. Le message est limpide : comme lorsqu’elle avait cinq ans, Violet peut bien empiler ses petites affaires dans sa brouette miniature et partir. Personne ne la retiendra.

Violet-Trefusis-1920
Violet vers 1920 – source inconnue

Violet n’a même plus le droit de voir Pat Dansey, suspectée de lui apporter son aide. Alice l’emmène en Italie, mais l’ignore et lui répète avec cruauté qu’elle a perdu toute affection pour elle. Violet est déprimée et amaigrie. Elle a la sensation d’avoir vieilli de dix ans en quelques mois. Pat lui envoie un peu d’argent, des cigarettes et fait passer ses lettres et ses télégrammes à Vita. Son rôle d’intermédiaire lui permet de se rapprocher de cette dernière et bientôt, elle commence à jouer un double jeu. Tout en faisant mine de soutenir Violet, elle encourage Vita, dont elle aimerait gagner les faveurs, à rompre définitivement avec elle.

Violet a toujours l’interdiction de contacter Vita. Le 26 mars, elle lui écrit dans l’une de ses dernières lettres :

Tu as choisi, ma chérie ; tu devais choisir entre moi et ta famille et c’est eux que tu as choisis.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Vita cesse de répondre. Elle a repris sa vie avec Harold et leurs enfants et vient de faire paraître son nouveau roman, « The Dragon in Shallow Waters ». Elle se rapproche aussi d’une vieille amie, Dorothy Wellesley, avec qui elle entamera bientôt une liaison.

Violet écrit :

C’est si étrange d’avoir perdu V. et D., ma liberté, ma maison, mon argent, tout cela d’un seul coup. Je commence à penser que cette sorte d’amour imprudent et exorbitant que j’ai donné est le seul crime injustifiable dans ce monde. On devrait aimer prudemment, raisonnablement, confortablement ; ne pas jeter de gant à la face du monde (…) Maman m’a fait longuement pleurer hier soir. Elle a dit que si elle était à ma place, elle se serait suicidée depuis longtemps.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

À vingt-six ans, Violet est définitivement vaincue. Elle ne jettera plus jamais de gant à la face du monde.

Dans son manuscrit secret, Vita écrit :

Il est possible que je ne revoie jamais Violet, ou peut-être la verrai-je encore une fois avant que nous soyons séparées, ou peut-être nous recroiserons-nous dans le futur comme des étrangères ; il est aussi possible qu’elle choisisse de ne pas vivre, dans tous les cas j’en serai indirectement responsable, tandis que je demeure saine et sauve, en sécurité, à l’exception de mon cœur. L’injustice et l’infortune de toute cette histoire m’oppressent constamment ; cela me donne une affreuse sensation d’un destin maudit, la ruine de Violet qu’elle-même aura toujours prédite.

« Portrait of a marriage » écrit par Nigel Nicolson éd. Weidenfeld & Nicolson 1973

Poursuivre la lecture – épisode 8

Photo illustrant l’article : vue de Bordighera entre 1890 et 1900

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