Hélène Néra
Autrice ensauvagée – Exploratrice de l’Outremonde
Un matin d’hiver, alors que j’étais encore engourdie par la chaleur des bras de Morphée, je me sentis soudain assaillie par un élancement diffus mais familier.
D’un geste résolu, je repoussai les draps : « Berthe ! m’écriai-je en bondissant sur mes pieds. Apportez-moi mon écritoire, j’ai envie d’écrire ! ».
Le silence qui accueillit cet ordre impérieux me surprit et m’alarma. Puis, lentement, je me souvins que ma pauvreté m’empêchait d’embaucher, comme Natalie Clifford Barney, une Berthe Cleyrergue qui se chargerait de gérer mon quotidien à ma place. De même, réalisai-je, aucune gouvernante ne ferait son apparition après le petit-déjeuner pour me faire valider les menus du jour consignés dans un élégant livret noir. Et nulle femme de chambre ne s’occuperait de me faire couler un bain, de boutonner mes gants ou de lacer mes bottines.
Pestant contre les injustices de ce monde et la disparition du petit personnel, je me ruai dans mon bureau mansardé où régnait, durant dix mois de l’année, un rude et vivifiant 15°C. Sans surprise, aucune secrétaire n’avait mis mes notes en ordre ou dactylographié les douze feuillets que j’avais noircis la veille.
Avec un soupir, je m’enroulai dans une couverture et me plongeai sans tarder dans le travail.
Aussi assoiffée de gloire littéraire qu’Orlando, je demeurais cependant torturée, comme Virginia Woolf, par ce doute lancinant : qu’écrire après Proust ? Voyons, la question ne serait-elle pas plutôt « pour qui écrire ? » me demandai-je en trempant des biscuits dans un fond de café froid.
La réponse se trouvait forcément quelque part dans un poème de Renée Vivien. Fébrile, je feuilletai mon édition annotée du recueil « À l’heure des mains jointes » jusqu’à tomber sur ces vers :
Vous pour qui j’écrivis, ô belles jeunes femmes !
Vous que, seules, j’aimais, relirez-vous mes vers
Par les futurs matins neigeant sur l’univers,
Et par les soirs futurs de roses et de flammes
Renée Vivien – À l’heure des mains jointes
L’évidence me frappa tel un rappel de cotisations sociales. J’oubliai Proust et les 15°C de la pièce. Et si j’écrivais pour vous, ma très chère ? Pour moi ? Pour nous toutes ? Pour hier, pour aujourd’hui et pour demain…
Et c’est pourquoi, comme le confiait jadis Vita Sackville-West à Virginia Woolf :
« Au sommet des montagnes, comme au bord de l’eau verte des lacs, j’écris pour vous. Je ferme les yeux, aveugle au bleu des gentianes et au corail des androsaces ; je ferme mes oreilles au tapage des cours d’eau ; je ferme mes narines à la senteur des pins ; je me concentre sur mon récit. »
Lettre de Vita Sackville-West à Virginia Woolf , 16 juillet 1924
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