À propos

Ma rencontre avec Natalie Clifford Barney a eu lieu par hasard, grâce à cette photo dénichée au détour du Web. Quelque chose m’a tout de suite attirée et intriguée dans cette image. Je l’ai observée longuement et j’ai fini par comprendre ce qui avait piqué ma curiosité : je ne parvenais pas à situer ce cliché dans le temps.

Au premier abord, le grain de cette photo en noir et blanc renvoyait à un passé indéterminé, et certains détails des vêtements portés par le modèle lui donnaient une allure un brin désuète. Cependant la tenue de la jeune femme – une chemise, une sorte de short et des bas noirs –  était assez intemporelle et pouvait correspondre à diverses époques. Sa coiffure paraissait elle aussi un peu démodée, mais ses cheveux dénoués, indomptés et visiblement indomptables, étaient parfaitement assumés.

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Natalie Clifford Barney sur sa célèbre fourure © Archives of American Art, Smithsonian Institution.

Malgré une étude attentive, je n’arrivais pas à trancher : cette photo datait-elle des années 1960 ? 1980 ?

Au-delà de son apparence, c’est l’attitude du modèle qui ne cessait de me fasciner.

Sa modernité était stupéfiante. Sa façon de se mettre en scène trahissait un désir de séduction évident, mais totalement étranger au langage de la soumission imposé d’ordinaire aux femmes. Ici, ni maigreur affolante ou posture lascive réclamant des contorsions grotesques. Étendu sur sa fourrure, le modèle ne cédait rien de son mystère et de son pouvoir. Cette jeune femme semblait m’observer tout autant que je la contemplais, comme pour me lancer un défi avec une assurance tranquille.

Lorsque j’ai appris que cette photo datait en réalité des années 1900, ma curiosité a redoublé.

Son modèle, Natalie Clifford Barney, était alors âgée d’environ vingt-cinq ans. Cette riche héritière américaine est surtout connue pour ses aphorismes et le salon littéraire qu’elle a tenu durant cinquante ans dans son pavillon du 20 rue Jacob, à Paris. Mais Natalie Barney était également une poétesse, une romancière, une féministe, une grande séductrice et une lesbienne qui vivait ses amours tumultueuses aussi librement qu’il était possible de le faire il y a un peu plus d’un siècle.

Le pouvoir de séduction de cette photo a parfaitement fonctionné sur moi, et j’ai décidé de relever le défi que me lançait Natalie Barney.

En commençant mes recherches à son sujet, je pensais ouvrir une porte sur un jardin secret, charmant mais cerné de murs. Au lieu d’un espace clos, j’ai découvert un véritable dédale dont je n’ai pas encore trouvé l’issue. Car suivre Natalie Barney, c’est faire la connaissance de Renée Vivien, d’Élisabeth de Gramont, de Romaine Brooks, de Dolly Wilde, de Djuna Barnes, de Lucie Delarue-Mardrus… et repousser sans cesse la fin de son voyage dans le temps.  


Ce blog a pour ambition première d’entretenir la mémoire de ces femmes exceptionnelles, à la fois pionnières et prisonnières de leur époque.

C’est une petite pierre dans un édifice collectif : une entreprise commune de préservation de la culture et de la mémoire lesbiennes. Car les informations au sujet de ces femmes sont rares, dispersées, parfois difficilement accessibles. Lorsqu’elles étaient autrices, leurs œuvres sont souvent épuisées. Pour certaines d’entre elles, leur unique biographie remonte à trente ou quarante ans. Si l’âge de ces ouvrages ne remet pas en cause leur qualité, le regard porté sur la psychologie et la sexualité de leurs sujets d’étude a bien besoin d’être dépoussiéré.

Il est probable que ce blog devienne rapidement un objet littéraire. Sa conception et sa rédaction soulèvent de nombreuses questions : comment évoquer la mémoire de ces femmes souvent invisibilisées de leur vivant et oubliées avec une promptitude suspecte après leur mort ? Par où commencer ? Comment restituer des voix dont on ne perçoit plus qu’un écho lointain, brouillé par le temps, les préjugés, l’homophobie et le sexisme ? Aujourd’hui encore, leurs héritiers, leurs ayants droit ou certains de leurs biographes continuent parfois à nier leur lesbianisme ou à tenter de minimiser l’importance de leur identité sexuelle dans leur vie.

La tentation est grande de faire appel à la fiction pour combler les silences, les correspondances perdues ou brûlées, les souvenirs éteints en même temps que les derniers témoins qui auraient pu nous éclairer. Le travail documentaire sera cependant toujours bien distinct de la fiction afin de ne pas créer de confusion.

Sur ce site, vous trouverez donc des biographies ainsi que des articles thématiques qui dresseront peu à peu une série de portraits, au fil de mes avancées et de mes découvertes.

Bonne lecture !

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