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Violet Trefusis– Épisode 4 – Le déclic

Violet arrive à Long Barn le 13 avril 1918. Son séjour débute d’une façon tout à fait banale : elle passe ses journées à Londres et revient dormir chez Vita pour échapper aux bombardements nocturnes. Harold, accaparé par son travail au ministère, est souvent absent.

Le 18 avril, Vita et Violet partent se promener dans la campagne environnante. Vita porte des vêtements qu’elle a achetés pour faire du jardinage : un pantalon et des guêtres semblables à ceux fournis par la « Women’s Land Army » aux femmes venues travailler dans les champs en remplacement des hommes mobilisés. Galvanisée par cette tenue considérée comme masculine, Vita saute par-dessus les barrières, court et crie pour se défouler. Violet s’efforce de la suivre et l’observe, intriguée. Quelque chose est en train de changer, elle le sent.

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Des femmes de la « Women’s Land Army » prennent la pose après leur première journée de travail – © Imperial War Museum Photograph Archive Collection

Après le dîner, la conversation se poursuit durant plusieurs heures. La course folle de Vita à travers la campagne a agi comme un déclic, qu’elle a décrit plus tard comme la libération d’une « moitié de sa personnalité ». On sait, grâce à son manuscrit secret publié dans « Portrait d’un mariage », que Vita a tenté de rationaliser et d’expliquer son attirance pour les femmes à travers sa théorie de la « dualité » de sa personnalité. Depuis toujours, Vita se sent tiraillée entre deux identités : l’une masculine et l’autre féminine. C’est ce qu’elle appelle sa « dualité »; un secret très lourd à porter dont elle n’a parlé à personne, pas même à Harold. Vita est persuadée qu’Harold serait anéanti s’il apprenait la vérité. D’après Vita, c’est lui qui éveille la part douce et féminine de sa personnalité. Tandis que Rosamund – qu’elle a aimée, tyrannisée et abandonnée sans un regret – a été victime de sa nature masculine, qu’elle qualifie de « perverse », « dure, brutale et sauvage ».

Ce soir-là, Vita se livre sans retenue. Elle raconte sa détresse, ses doutes et ses peurs. Violet l’écoute sans rien dire. Puis elle va s’asseoir à ses côtés, commence par lui rappeler qu’elle l’aime depuis l’enfance, avant de s’emparer de sa main pour énumérer, en comptant sur ses doigts, toutes les raisons pour lesquelles elle est tombée amoureuse d’elle. « Je n’avais jamais rêvé d’un tel art de l’amour », écrira Vita. « J’étais infiniment troublée par la douceur de son contact et le murmure de sa merveilleuse voix » 1. C’est le début d’une liaison tumultueuse qui va durer trois ans.

Violet Trefusis manipulatrice ?

Vita raconte cette soirée décisive dans son manuscrit secret datant de 1920 qui sera publié cinquante ans plus tard par son fils Nigel dans « Portrait d’un mariage ». Au moment où Vita commence sa rédaction, son histoire d’amour avec Violet est déjà condamnée. Leur relation est désormais minée par la méfiance, les rancœurs et le désespoir. Comme Vita ne peut pas aimer Violet, elle décide de la haïr – une résolution à laquelle elle se tiendra durant des années.

Dans son récit, Vita oscille constamment entre admiration et détestation. Violet est souvent présentée comme une manipulatrice : intelligente, rusée, experte dans l’art de séduire et de conquérir. En voulant se défausser sur son amante, Vita offre sans le savoir beaucoup d’arguments aux futurs détracteurs de Violet qui dresseront d’elle un portrait aussi sombre qu’injuste.

En réalité, malgré ses vingt-quatre ans, Violet est encore naïve et ignorante. Elle ne sait rien faire sans ses bonnes ou ses gouvernantes et n’a aucun sens pratique. La guerre n’a pas réellement percé la bulle de privilèges dans laquelle elle a toujours vécu. Violet éprouve une aversion sincère à l’égard des hypocrisies de sa classe sociale, mais elle n’a aucune conscience des réalités du monde. Elle rêve d’une vie de bohème, à Paris, parmi les artistes qui fréquentent le quartier Montparnasse. Au 16, Grosvenor Street, on lui a attribué un studio au dernier étage qu’elle a décoré selon ses goûts : un mélange de pseudo-renaissance, de ballets russes et des « Mille et une Nuits ». L’orient – le vrai, celui qu’elle a entraperçu à Ceylan – lui a déplu. En revanche, l’orient de pacotille fantasmé par les Occidentaux stimule son imagination vive et fantasque.

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Étude pour un costume du ballet « La péri » par le peintre Léon Bakst, célèbre décorateur et costumier des Ballets russes

Une bulle dans une bulle

Enfermée dans son propre monde, Violet ne sait probablement pas grand-chose au sujet des réalités du mariage, du sexe et de la férocité de la domination masculine. À l’époque, dans les classes aisées, on prenait soin de maintenir les jeunes femmes dans l’ignorance afin de s’assurer de leur docilité. Une fois mariées, elles découvraient tout en même temps, durant leur nuit de noces puis les premiers mois de vie commune. La pression sociale, la dépendance financière et les grossesses qui ne tardaient pas à s’enchaîner rendaient toute révolte presque impossible.

Violet commettra beaucoup d’erreurs par manque d’expérience, mais elle est intelligente et intuitive. Elle n’est pas surprise par les révélations de Vita, car elle a déjà percé son secret. Un jour, elle lui a écrit sur un bout de papier :

La partie supérieure de ton visage est si pure et si grave – presque enfantine. Et la partie inférieure est si dominatrice, sensuelle, presque brutale – c’est un contraste si absurde et incroyablement symbolique de ta personnalité de type « Dr Jekyll et Mr Hyde ».

Cité dans « Portrait of a Marriage » écrit par Nigel Nicolson éd. Weidenfeld & Nicolson 1973

« Dr Jekyll et Mr Hyde ». Revoici la hantise d’une métamorphose monstrueuse. Vita se pense anormale. Elle est à la fois soulagée de pouvoir se libérer de son secret, mais elle ressent des sentiments ambivalents à l’égard de Violet qui dispose désormais d’un terrible pouvoir sur elle. « Je t’aime Vita, parce que j’ai vu ton âme », avait déjà prévenu celle-ci.

Finalement, Vita accuse Violet de ses propres travers. Car c’est bien elle qui a menti au sujet de ses fiançailles et qui a conçu le plan de traiter Violet avec dédain afin de conserver son emprise sur elle. Sans être manipulatrice, Vita a une personnalité plus organisée et possède un instinct de conservation qui fera toujours défaut à Violet. Tandis que celle-ci – qui a plutôt tendance à fabuler et qui ment souvent à mauvais escient – semble incapable d’élaborer une quelconque stratégie.

En même temps que la bague du doge, Violet a offert son cœur à Vita. Dans sa naïveté, elle s’est persuadée que leur amour devait nécessairement triompher, puisqu’il était innocent et vrai. L’une des plus grandes illusions de la jeunesse n’est-elle pas de penser que la vérité finit toujours par l’emporter sur les mensonges et les faux-semblants ? Violet a rêvé à la fois Vita et le monde qui les entourait. Ni l’une ni l’autre ne se montreront à la hauteur de ce songe, et le réveil sera brutal.

Idylle saphique

Après cette première nuit, Violet et Vita font un court séjour en tête-à-tête à Polperro, un petit village de Cornouailles. Harold s’est arrangé pour qu’un ami leur prête son cottage, ce qui ne l’empêche pas d’être extrêmement jaloux. Suspicieux, il écrit trois à quatre lettres par jour. Harold, qui est lui aussi homosexuel, vit sa propre vie amoureuse de son côté. Mais ses liaisons, qu’il gère d’une façon plus détachée, ne mettent jamais en danger son mariage avec Vita. Sa détestation et sa peur à l’égard de Violet sont immédiates et instinctives. Harold la haïra durant le reste de son existence, car il pressent qu’elle détient le pouvoir de lui ravir Vita.

Pour Vita et Violet, le séjour à Polperro est une véritable lune de miel. Plus tard, Violet s’en souviendra comme d’une parenthèse enchantée :

Cette petite pièce… la mer qui venait presque s’écraser contre ses murs, les cris incessants des mouettes, la présence amicale des livres… la complète liberté de tout cela… Et parfois, nous nous aimions tellement que nous en devenions inarticulées, simplement heureuses de chercher dans nos regards respectifs la trace de ce secret qui n’en était plus un.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989
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Panorama de Polperro, ©Steve Sea / CC BY

Violet exulte. Elle attend ce moment depuis son adolescence et elle est follement amoureuse de Vita. Elle passe ses nuits avec elle à Londres ou à Long Barn et la bombarde de lettres. Le 15 mai, après une soirée en compagnie d’Alice, de Sonia et de Vita, elle lui écrit :

J’écris peut-être des bêtises, mais c’est parce que je suis ivre. Ivre de la beauté de mon Mitya [le surnom de Vita] ! J’ai été incohérente toute la journée. Je t’assure, tu possèdes une splendeur barbare qui a conquis non seulement ma personne, mais aussi tous ceux qui t’ont vue. Tu es faite pour conquérir, Mitya, pas pour être conquise. Tu étais superbe. Tu aurais pu avoir le monde à tes pieds. Même ma mère, qui n’est pas facilement impressionnable, partageait mon opinion. Tu as aussi changé, à ce qu’il semble ? Elles ont dit, ce soir, après que tu sois partie, que tu étais comme un Gitan éblouissant. Ce sont les mots de ma sœur, pas les miens. Un despote gitan, un souverain – comme tu veux, mais quand même un Gitan.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

De son côté, Vita tente de rassurer Harold en lui présentant son aventure avec Violet comme un moyen d’échapper à « la stagnation intellectuelle et à l’autosatisfaction bovine », tout en lui faisant comprendre qu’elle n’est pas prête à renoncer à cette liaison. Il y a, dans ces premiers échanges de lettres entre les deux époux, un mécanisme qui deviendra routinier : Vita s’efforce de ménager Harold sans pour autant consentir à sacrifier Violet. Harold, quant à lui, oscille entre compréhension, jalousie et culpabilisation.

Un langage amoureux

La littérature a toujours rapproché Violet et Vita. Installées dans les fauteuils du bureau du père de Violet, elles ont consacré leurs premières rencontres à des discussions sans fin au sujet de leurs héros favoris : d’Artagnan, Bayard et Raleigh. Adultes, toutes deux rêvent d’une carrière d’écrivaines. Tout naturellement, la littérature devient, dès les débuts de leur liaison, un moyen supplémentaire de faire vivre leur histoire d’amour.

Quelques jours après leur retour de Polperro, Vita commence à travailler sur un projet de roman intitulé « Challenge » qui est une sorte de transposition de leur liaison. Violet, qui la relit et la conseille, encourage son identification à Julian, le protagoniste masculin qui incarne sa vision idéalisée de Vita :

C’est la description de Julian que j’ai trouvée la plus pertinente. Tu dis que ce n’est pas toi ! Il est toi, mot pour mot, trait pour trait. J’ai ri longuement et à gorge déployée en lisant le passage où tu dis que tout le monde le vénère sans qu’il en soit conscient. Signifierait-il que tu commences à t’apprécier ? (en français dans le texte)

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Julian est l’incarnation de la part masculine de la personnalité de Vita : mi-artiste mi-rebelle et libre de toute entrave. Tandis que sa part féminine – la Vita mariée et mère de famille – n’est pas maîtresse de son destin et soumise aux dictats de la société.

Face aux difficultés du monde réel, Violet s’emploie activement à créer un univers imaginaire où rien n’est impossible. Elle commence par leur inventer de nouveaux noms : elle-même se rebaptise Lushka, tandis que Vita devient tout à tour Julian ou Mitya, un diminutif de Dimitri. Durant leur adolescence, Vita et Violet utilisaient le français comme un langage secret. Dans leurs lettres, elles mettent au point un nouveau langage codé, inspiré cette fois d’un dialecte gitan, probablement emprunté aux romans de George Borrow qui datent du milieu du XIXe siècle.

Violet compare souvent Vita à un Gitan ou à un roi gitan. Bien sûr, Violet n’a jamais rencontré un seul Gitan de sa vie. Elle n’a aucune idée des conditions d’existence de ces communautés et ignore tout de leur véritable culture. À l’image des artistes de Montparnasse ou de l’orient de pacotille qu’elle s’efforce de recréer dans ses appartements, il s’agit d’un fantasme, d’une projection. La figure du « bohémien » – associée à une vie libre, nomade, un peu dangereuse et romantique – fait partie intégrante de l’imaginaire de Violet. Elle exprime une aspiration, cette fois-ci réelle et profonde : la liberté.

Une obsession : s’enfuir

Violet n’a jamais eu l’intention de se contenter d’une liaison clandestine, comparable à celle que sa mère a entretenue avec Édouard VII durant dix ans. Elle veut vivre avec Vita pour de bon, pour de vrai. Tout autre compromis lui semble être une hypocrisie infâme et insupportable.

J’imagine que tu réalises désormais que cela ne peut pas continuer, que nous devons une fois pour toutes prendre notre courage à deux mains et partir ensemble. Quelle sorte de vie pouvons-nous mener à présent ? La tienne, un mensonge dégradant et infâme à la face du monde, officiellement liée à quelqu’un que tu n’aimes pas, perpétuellement en compagnie de cette personne, ce qui en soit constitue un outrage envers moi, constamment surveillée et questionnée, observée pour voir si la réaction attendue n’a pas lieu, questionnée pour s’assurer qu’il n’y a personne d’autre ! Moi, me fichant de tout le monde à part toi, complètement perdue, misérablement incomplète, condamnée à vivre une existence futile, sans but, qui ne m’attire plus le moins du monde…

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Pour Violet, le mariage de Vita est un mensonge, une fiction :

Je t’implore de mettre à mort la fable H.N [pour Harold Nicolson].

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Violet ne voit qu’une seule solution : tout abandonner et s’enfuir. En août, ses plans se précisent – enfin, plus ou moins :

Mon idéal est celui-ci, Mitya : vivre loin, très loin, en Grèce de préférence, ou à défaut, en Sicile – vivre dans les bois, sur les pistes montagneuses, au bord des ruisseaux et des rivières – ne voir personne, à l’exception peut-être d’un berger de temps à autre, et vivre là avec Mitya, au printemps, seulement il faudrait que ce soit toujours le printemps ! (…) Oh, Mitya, partons, envolons-nous, Mitya chéri – s’il n’y a jamais eu deux personnes entièrement primitives, c’est sûrement nous : partons et oublions le monde et ses misères – oublions toutes ces choses comme les trains, les trams, les domestiques, les rues, les boutiques, et l’argent, les soucis et les responsabilités. Oh, Dieu ! Comme je hais tout cela – toi et moi Mitya, sommes nés deux mille ans trop tard, ou deux mille ans trop tôt.

« Violet to Vita, the letters of Violet Trefusis to Vita Sackville-West », Mitchell A. Leaska et John Phillips, éd. Penguin Books 1989

Premières difficultés

Ces déclarations grandiloquentes ne sont qu’à moitié des plaisanteries. Une fois l’euphorie des premières semaines dissipée, il est de plus en plus difficile d’ignorer la réalité. À peine née, l’histoire d’amour de Vita et Violet semble déjà dans une impasse : comment échapper à la condamnation de leurs proches et de la société tout entière ? Comment Violet peut-elle convaincre Vita de la choisir, elle ? C’est une véritable bataille qui s’annonce, et les forces en présence sont déséquilibrées. Violet n’a pas beaucoup d’armes à sa disposition. Elle ne peut compter que sur la force de son amour, celle de son imagination et sa capacité à créer une chimère suffisamment puissante pour gagner définitivement le cœur de Vita : le rêve d’une vie commune – pour deux femmes, c’est encore un impensé, une folie !

Face à Violet, les obstacles sont nombreux. Tout d’abord, contrairement à ce qu’elle affirme de façon péremptoire, l’union de Vita et d’Harold n’est pas qu’une fiction. Vita est attachée à Harold, à leur famille et à leur vie commune. Ensuite, malgré ses bravades, Vita n’est pas prête à renoncer à sa position enviable dans la bonne société, à ses propriétés et ses privilèges. Elle a toujours aimé la solitude et les longues promenades dans la nature, mais elle envisage un style de vie bien différent des rêveries de Violet. Vita a l’âme d’une châtelaine et non celle d’une artiste fauchée vivotant dans un atelier de Montparnasse. Elle préfère composer avec son statut de femme mariée qui lui assure une certaine de liberté, même si ce n’est pas une totale liberté. Enfin, Violet doit se contenter de quelques instants volés auprès de Vita, accaparée par son mariage et sa vie sociale. Harold, lui, a le privilège de passer autant de temps qu’il le souhaite avec son épouse. Il en profite pour dénigrer patiemment Violet et saboter tous ses efforts. En septembre, il écrit à Vita :

Je voudrais que Violet meure, elle a détruit l’une des choses les plus lumineuses qui ait jamais existé.

Harold compare Violet à :

Une orchidée féroce, luisant et exhalant son odeur fétide dans les recoins de la vie.

Dans la lutte pour la conquête du cœur de Vita, c’est Violet qui semble pour le moment l’emporter. Vita annonce à Harold qu’elle ne veut plus avoir de relations sexuelles avec lui et enlève son alliance. En même temps, elle l’assure constamment de son amour dans ses lettres. Les tensions entre les deux époux sont palpables. En public, Harold s’adresse parfois sèchement à Vita. Les rumeurs commencent à circuler, et la mère de Vita, Victoria Sackville-West, à s’en s’inquiéter.

Violet ne cesse d’implorer Vita de s’enfuir avec elle. Avant d’envisager, sérieusement ou non, d’aller se perdre dans les forêts et les montagnes grecques, toutes deux conviennent qu’organiser un voyage à l’étranger, là où personne ne les connaît, semble être un excellent compromis. En novembre 1918, elles partent pour Paris. Contre toute attente, c’est Harold qui les aide à obtenir des laissez-passer.

De nouveaux protagonistes

D’autres personnes vont bientôt s’immiscer dans l’histoire d’amour de Violet et Vita. À commencer par leurs mères respectives, Alice et Victoria. Toutes deux passeront des heures à débattre de la meilleure façon de remettre leurs filles dans le rang. Elles useront de toute leur influence et de tout leur pouvoir pour séparer Violet et Vita, plus par peur du scandale qu’en raison d’une véritable réprobation morale, même si l’incompréhension est totale.

En 1918, le major Denys Trefusis fait son apparition dans le cercle des familiers des Keppel. Cultivé, Denys s’intéresse à la politique et sera toute sa vie passionné par la Russie où il a travaillé durant plusieurs années en tant que tuteur des enfants d’une famille aristocratique. Violet – qui finalement, continue de considérer les gens comme des atmosphères plutôt que comme de véritables personnes – lui trouve un mélange « de charme slave et de prestance élisabéthaine » 2. Intelligent, arrogant et audacieux, Denys est un personnage suffisamment romantique pour éveiller son intérêt.

Lorsque Denys retourne au front, Violet lui écrit, encouragée par Alice qui veut désormais à tout prix la marier. À force de s’engager dans des fiançailles puis de les rompre, Violet commence à avoir une mauvaise réputation. De plus, elle a déjà vingt-quatre ans – à l’époque, c’est un âge avancé pour être encore célibataire. Les rumeurs qui enflent au sujet de sa liaison avec Vita achèvent de convaincre Alice qu’il est grand temps de reprendre le contrôle de sa fille.

Violet joue le jeu avec Denys, à moitié par défi, à moitié pour satisfaire Alice. Le mariage lui apparaît encore comme une menace lointaine, incertaine. À l’occasion, elle utilise Denys pour essayer, avec un certain succès, de rendre Vita jalouse.

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Le château de Berkeley en 1818, par John Preston Neale

En 1917, Violet a aussi rencontré Margaret Dansey, surnommée « Pat ». Pat habite avec son oncle, Lord Fitzhardinge, dans le château de Berkeley. Comme Knole ou Duntreath Castle, le château de Berkeley est plus un décor qu’un vrai lieu de vie. Évidemment, Violet est conquise et ne boude pas son plaisir en visitant le donjon médiéval où a été assassiné Édouard II en 1327. Pat devient une confidente. Elle aussi aime une femme, Joan Campbell. Violet peut enfin se livrer, exprimer à haute voix ses sentiments. Il est possible, mais pas certain, que Violet et Pat aient eu une liaison, avant Vita. « Je devais inventer les passetemps les plus érotiques pour satisfaire ses goûts », révèlera plus tard Pat à Vita 3.

Dans ce domaine, Violet a les idées larges. Dans son roman à clé, « Broderie anglaise », elle écrit en 1935 :

Elle découvrit que la sensualité ne résidait pas, comme elle l’avait cru, dans un geste unique et consacré. Il peut y avoir de la sensualité en toutes choses, dans la façon d’allumer une cigarette, d’éplucher une pomme. La sensualité est une atmosphère, non un incident. C’est un état diffus, continu : c’est une lentille qui est venue s’ajouter à votre vue en naissant et qui ne vous quitte que le jour de votre mort.

« Broderie anglaise », écrit par Violet Trefusis, éd. Plon, 1935

Comme Vita, Pat est un peu dépassée par Violet. Dans l’histoire d’amour de Vita et de Violet, Pat jouera un rôle bien plus important qu’il n’y paraît.

Poursuivre la lecture – épisode 5

Image illustrant l’article : Violet peinte par John Lavery, 1919

Notes

  1. « Portrait of a Marriage » écrit par Nigel Nicolson éd. Weidenfeld & Nicolson 1973[]
  2. « Violet Trefusis » écrit par Cécile Wajsbrot, éd. Mercure de France 1989, p.53[]
  3. « Mrs Keppel and Her Daughter » écrit par Diana Souhami, éd HarperCollins 1996, chapitre 9[]
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