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Vita Sackville-West – Épisode 5 – Dans la tour de Sissinghurst

A la recherche d’une nouvelle demeure, Vita découvre en avril 1930, en compagnie de Dottie Wellesley, une propriété à vendre à une trentaine de kilomètres de Long Barn : le château de Sissinghurst. Vita tombe immédiatement sous le charme et fait une offre d’achat tout juste un mois plus tard. Pourtant, la bâtisse est presque en ruine et nécessite de lourdes et couteuses rénovations : aucune pièce n’est habitable en l’état et le château n’est équipé ni de l’électricité ni de l’eau courante. Vita et Harold continuent à vivre à Long Barn durant les travaux, et il leur faudra attendre près de deux ans avant de pouvoir emménager à Sissinghurst.

La tour en brique rose qui domine le château est la première partie de la bâtisse à être aménagée. Vita s’attribue le premier étage où elle installe son bureau qui devient très vite une sorte de refuge. Sissinghurst représente également à ses yeux un Knole miniature qui, contrairement au domaine familial, ne pourra jamais lui être enlevé. Le château appartient exclusivement à Vita ; même Harold n’en possède aucune part.

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La tour en brique rose de Vita, ©Graham Taylor (Licence CC BY-SA 2.0)

À Long Barn, Harold et Vita ont organisé d’innombrables déjeuners, dîners et fêtes. Sissinghurst ne permet pas vraiment de recevoir des invités : il ne dispose par exemple d’aucune chambre d’amis. Le château est composé de cinq bâtiments indépendants. Harold, Vita et leurs deux fils vivent dans des espaces éloignés les uns des autres, ce qui implique une vie de famille distanciée, encore plus qu’à Long Barn où Ben et Nigel étaient déjà relégués dans le « cottage » prêté plus tard par Vita à Mary et Roy Campbell.

Le jardinage a toujours été une passion commune pour Vita et Harold. À Sissinghurst, ce loisir prend une tout autre dimension. L’aménagement des jardins du château, totalement à l’abandon, est un chantier colossal. Après avoir débarrassé le terrain de ses débris, Harold se charge de la conception des plans tandis que Vita plante à tour de bras. Les futurs jardins seront divisés en dix sections thématiques (le jardin blanc, le jardin aux roses, la noiseraie, le jardin aux herbes…) séparées soit par la végétation, soit par des murs, vestiges d’anciens bâtiments. Vita et Harold poursuivront cette entreprise commune le restant de leurs vies. Les jardins de Sissinghurst qui s’étendent aujourd’hui sur cinq hectares sont extrêmement populaires et renommés dans le monde entier.

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Chateau de Sissinghurst : vue aérienne des jardins ©Tony Hisgett (Licence CC BY 2.0)

Sur le site du National Trust, qui gère Sissinghurst et ses jardins depuis 1967, on peut voir une photo aérienne du château en 1932, et de nombreux clichés des jardins et des intérieurs du château.

Evelyn Irons

En 1931, Vita tombe à nouveau amoureuse. Evelyn Irons est une jeune journaliste écossaise diplômée du Sommerville College. Elle a tout d’abord travaillé au Daily Mail, où on lui a confié une rubrique « Beauté » qui ne correspond ni à ses intérêts ni à ses ambitions. Puis elle a rejoint l’Evening Standard, un quotidien qui appartient au même groupe que le Daily Mail, où elle rédige des articles sur la vie londonienne. 1 C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Vita lors d’une lecture publique de son poème « The Land ». Evelyn tente d’interviewer Vita, mais l’émotion lui fait perdre ses moyens. Vita lui envoie une invitation à déjeuner quelques jours plus tard, et Evelyn en profite pour lui renvoyer par écrit toutes les questions qu’elle aurait aimé lui poser. Vita les ignore avec soin, prétextant sa méfiance et sa détestation à l’égard de la presse, mais réitère son invitation à déjeuner pour se faire pardonner.

Evelyn et Vita se revoient très vite à Sissinghurst puis à l’appartement qu’Evelyn partage avec son amante, Olive Rinder. « Je suppose que tu sais que je suis désespérément amoureuse de toi », souffle Evelyn à Vita lors d’une soirée. Vita, elle aussi très amoureuse, couvre Evelyn de cadeaux et de poèmes. Les deux femmes passent du temps ensemble à Sissinghurst et partent en voyage en Provence. Olive Rinder ne cherche pas vraiment à s’opposer à leur liaison. Elle-même est tombée sous le charme de Vita qui s’embarque, au début de l’année 1932, dans un triangle amoureux assez mouvementé.

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Evelyn Irons source : Making Queer History

En août 1932, Evelyn rompt avec Vita. Quelques semaines plus tôt, elle a rencontré Joy McSweeney, elle aussi journaliste. C’est la première (et unique fois) dans la vie sentimentale de Vita qu’une de ses amantes la délaisse. Evelyn et Joy resteront ensemble jusqu’à la mort de Joy en 1988.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Evelyn abandonne à tout jamais les rubriques beauté et mondaines où on voulait la cantonner et s’impose en tant que correspondante de guerre. « Maintenant, je travaille pour vous » annonce-t-elle au chef de la section « News » de l’Evening Standard. Suspectant que les militaires britanniques seraient réticents à collaborer avec une femme, elle obtient le soutien de Jean de Lattre de Tassigny, l’un des chefs de l’Armée de Libération, et accompagne les troupes françaises jusqu’en Allemagne. Elle affirme avoir été la première journaliste à pénétrer dans le « Nid d’aigle » d’Hitler, et elle est la première femme correspondante de guerre à recevoir la « croix de guerre 1939-1945 ».

Le temps des bestsellers

Entre 1930 et 1932, Vita publie à la Hogarth Press de Virginia et Leonard Woolf trois livres qui seront tous des bestsellers : « The Edwardiens » et « All Passion Spent » et « Family History ». Les droits d’auteur de Vita sont une contribution essentielle aux finances du couple qui fait face à d’énormes frais (la rénovation de Sissinghurst, la scolarité de Ben et Nigel, l’entretien de Long Barn, les salaires des domestiques) qu’ils peinent à assumer depuis que Vita a renoncé à la pension que lui versait sa mère, Victoria.  

Vita est très occupée par l’écriture, mais aussi par la rénovation de Sissinghurst, ses liaisons amoureuses et le retour définitif d’Harold en Angleterre. Au fil des ans, elle a également tendance à réduire ses sorties et sa vie sociale. Sa relation avec Virginia Woolf, déjà malmenée par ses multiples liaisons avec d’autres femmes, s’en ressent. Virginia en souffre et dès 1930, elle noue une amitié avec la compositrice Ethel Smyth qui devient sa principale confidente. « Mon amitié avec Vita est terminée ; non pas après une querelle, ni en claquant la porte, mais comme un fruit mûr qui tombe…. » se désole-t-elle en 1935 avec un peu d’exagération. « La voix qui lançait : “Virginia !” du seuil de la salle de la tour était aussi ensorcelante que toujours. Seulement elle ne me fit aucun effet. » 2

De son côté, Harold regrette très vite d’avoir abandonné la diplomatie. Auteur, journaliste et intervenant à la BBC, il se sent pourtant en échec, déprimé et angoissé. À la recherche d’une nouvelle carrière, il adhère en 1931 au « New Party », mené par Oswald Mosley, pour lequel il dirige une revue politique intitulée « Action ». Les élections de 1931 sont un échec cuisant pour le « New Party », et Harold est contraint de rembourser sur ses propres deniers les dettes de la revue « Action ». Un an plus tard, Oswald Mosley fonde l’Union des fascistes britanniques. Harold rejoint de son côté le parti travailliste, et 1935, il est élu au Parlement britannique. Vita ne manifeste pas plus d’intérêt pour sa carrière politique que pour sa carrière diplomatique, ce qui blesse et embarrasse Harold. Comme quinze ans plus tôt, Vita refuse de jouer le rôle d’épouse qui est attendu d’elle. Invoquant divers prétextes, elle évite autant que possible d’accompagner Harold aux cérémonies et célébrations auxquelles il participe en tant qu’élu.

Enfermée dans sa tour, la productivité de Vita est impressionnante. Elle continue d’écrire de la poésie, traduit le poète autrichien Rainer Maria Rilke, rédige des articles de presse et publie plusieurs biographies, comme celle de Jeanne d’Arc en 1936. Leurs livres et leurs contributions respectives à la BBC permettent à Vita et Harold d’acquérir une certaine notoriété qu’ils ont l’occasion de tester en 1933 durant une tournée triomphale de conférences à travers les États-Unis.

Gwen St Aubyn

Pendant cette tournée américaine, Gwen St Aubyn, la sœur d’Harold, est victime d’un accident de la route. Gravement blessée à la tête, elle s’installe à Sissinghurst, dans une chambre située juste au-dessus du bureau de Vita, pour une longue convalescence qui durera plusieurs années. Mariée à Francis Cecil St Aubyn, Gwen a cinq enfants. Elle écrit des articles de presse dans le Daily Mail portant sur l’éducation des enfants et publie en 1934 un livre de conseils destinés aux parents : « The Family Book ».

Au cours de l’été 1933, Vita et Gwen se rapprochent et entament une liaison qui durera près de dix ans. Nous ne savons pas grand-chose au sujet de cette longue histoire d’amour puisque le fils de Vita, Nigel Nicolson, s’est efforcé de la garder secrète, demandant notamment à la biographe de Vita, Victoria Glendinning, de la passer sous silence 3.

Depuis le début des années 1930, Vita a commencé à expérimenter des épisodes de dépression. Elle s’isole également de plus en plus à Sissinghurst, où elle profite de la compagnie de Gwen St Aubyn, et ne se rend presque plus à Londres : « Je ne comprends pas comment les gens peuvent choisir de vivre à Londres par choix. Tout semble irréel et déroutant » 4.

Harold finit par s’en inquiéter et écrit à Vita en 1935 :

Tu as commencé par être gênée par les foules, puis à détester les fêtes, et après un temps la compagnie de tes amis est devenue un fardeau, les gens ne sont plus encouragés à venir, et finalement le moindre être vivant devient une interruption de ta solitude, jusqu’à ce que moi, Ben et Nigel finissions par sentir que nous ne sommes pas les bienvenus.

 Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, p.280

L’épreuve de la guerre

La Seconde Guerre mondiale suscite chez Vita un mélange de colère, de tristesse et d’impuissance. C’est une période de deuil et d’angoisse qui l’éprouve durement. Ben et Nigel sont mobilisés — ils reviendront tous deux indemnes. Les bombardements menacent Sissinghurst et Knole. Comme Leonard et Virginia Woolf, Harold et Vita se sont procuré des pilules pour se suicider en cas d’invasion de l’Angleterre par les nazis.

Londres-bombardée-1940
Londres sous les bombes en 1940

Harold est nommé par Churchill sous-secrétaire d’État à l’Information ; un poste qu’il occupe jusqu’en juillet 1941. Engagée dans la division de la « Women’s Land Army » du Kent, Vita écrit un livre sur cette organisation qui encourage et aide les femmes à travailler dans l’agriculture pour remplacer les hommes mobilisés et lui fait don de ses droits d’auteur. Elle se porte également volontaire comme conductrice d’ambulance en cas d’attaque aérienne dans les environs de Sissinghurst. Entre mars et mai 1940, elle enregistre des lectures en français pour Radio-Paris, avant que la station ne tombe entre les mains des Allemands qui la transforment en un outil de propagande.

Une série de deuils

Durant la guerre, Vita est frappée par plusieurs deuils. En 1940, Hilda Matheson décède des suites d’une opération de la thyroïde, et Rosamund Grosvenor, l’amie d’enfance et premier amour de Vita, meurt en 1944 lors d’un bombardement à Londres.

En 1942, Gwen St Aubyn quitte Sissinghurst pour s’installer sur l’île de St Michael’s Mount où son époux vient d’hériter d’une grande demeure familiale ainsi que du titre de Lord St Levan.

Fragilisée par une crise de dépression, Virginia Woolf se suicide en mars 1941. Depuis deux ans, la guerre avait rapproché Vita et Virginia qui s’écrivaient à nouveau plus régulièrement. La perspective d’un nouveau conflit mondial, les bombardements et la crainte d’une invasion allemande avaient causé une terrible angoisse à Virginia.

En août 1940, elle écrivait à Vita :

Que peut-on dire ? – si ce n’est que je t’aime et qu’il me faut continuer à vivre cette étrange soirée de quiétude en pensant à toi qui es là-bas à attendre toute seule. Ma très chère – envoie-moi un mot… Tu m’as donné un tel bonheur…

Vita Sackville-West Virginia Woolf, Correspondance 1923-1941. Traduite par Raymond Las Vergnas. Présentée et annotée par Louise DeSalvo et Mitchell A. Leaska. Ed Stock. 2010.

Ce qui provoquait cette réponse de Vita :

Oh mon dieu, comme ta lettre m’a touchée ce matin. J’ai failli verser une larme dans mon œuf poché. Tes rares expressions d’affection ont toujours eu le pouvoir de m’émouvoir infiniment et, comme je suppose que nous sommes tous plus ou moins sur nos nerfs (en grande partie subversivement) elles explosent contre mon cœur comme des balles qui cingleraient le toit. Je t’aime aussi ; mais cela, tu le sais.

Vita Sackville-West Virginia Woolf, Correspondance 1923-1941. Traduite par Raymond Las Vergnas. Présentée et annotée par Louise DeSalvo et Mitchell A. Leaska. Ed Stock. 2010.

Vita ignorait que Virginia souffrait à nouveau de dépression, et la nouvelle de son décès est un choc. Huit ans après la mort de Virginia, Vita écrivait à Harold :

Je continue de penser que j’aurais pu la sauver si seulement j’avais été sur place et si j’avais pu savoir l’état d’esprit vers lequel elle évoluait. Je pense qu’elle me l’aurait dit — comme elle me l’avait déjà dit à plusieurs reprises.

« Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, p.316

Bien des années plus tard, en 1954, la publication du journal intime de Virginia ravivait la peine de Vita :

Oh Dieu, comme je souhaiterais pouvoir ramener Virginia ! Lire son journal me fait la regretter d’une façon si poignante ; et aussi sentir que vers la fin j’aurais peut-être pu faire quelque chose pour l’empêcher de prendre sa propre vie.

« Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, p.379

Au fil du temps, la relation entre Vita et Leonard Woolf se dégrade. Vita désapprouve notamment les choix de Léonard au sujet de la publication des différentes correspondances de Virginia. Elle aurait souhaité que sa propre correspondance avec Virginia soit publiée, si nécessaire à ses frais, mais elle se heurte au refus de Leonard.

En 1960, elle passe une nuit à Monk’s House, dans la maison de Virginia, toujours habitée par son souvenir. « J’espère que je ne serai pas hantée », écrit-elle à Harold. « Ou serait-il plutôt excitant d’entendre subitement la voix de Virginia s’adresser à moi au milieu de la nuit ? » se demande Vita qui conservera toute sa vie une photo de Virginia sur son bureau dans la tour de Sissinghurst.

Les retrouvailles avec Violet Trefusis

L’invasion de la France par les Allemands force Violet Trefusis à trouver refuge en Angleterre. Elle s’installe chez une amie, dans le Somerset, et contacte Vita par téléphone. Cela fait vingt ans qu’elles n’ont eu aucun contact, et il aura fallu une guerre mondiale pour que les barrières érigées entre elles soient enfin ébranlées. Prise au dépourvu, émue, Vita invite Violet à Sissinghurst. Cette perspective suscite bien des appréhensions des deux côtés. Vita se méfie de ses propres réactions : « Le simple son de ta voix au téléphone me trouble », admet-elle. Violet, qui a appris à se protéger, ne cesse de repousser la date de leur rencontre qui a finalement lieu quatre mois plus tard, en terrain neutre, dans un restaurant à mi-chemin entre le Kent et le Somerset.

Le déjeuner est un succès, mais Vita réaffirme dans ses lettres à Violet qu’elle ne veut pas retomber amoureuse d’elle et bouleverser son existence. Elles reprennent cependant une correspondance et se reverront à plusieurs occasions. En 1943, Violet visite pour la première fois Sissinghurst. En France, elle aussi possède un château doté d’une tour, à Saint-Loup-de-Naud, près de Provins. La coïncidence est troublante. Violet passe une nuit sous le même toit que Vita, mais pas dans la même chambre. Vita qualifie cette rencontre de « bouleversante » et met plusieurs jours à s’en remettre. Après la guerre, Vita visite à son tour le château de Saint-Loup-de-Naud, puis la villa l’Ombrellino à Florence, que Violet a héritée de sa mère.

Violet et Vita resteront en contact jusqu’au décès de cette dernière. Ces retrouvailles leur offriront une forme d’apaisement, sans pour autant que leur histoire d’amour trouve une véritable résolution.

Une tour d’ivoire

Durant les vingt dernières années de son existence, Vita adopte un mode de vie très solitaire. Elle passe ses semaines seule à Sissinghurst où elle s’occupe de ses jardins et se promène dans la campagne environnante en compagnie de ses chiens. Elle s’engage cependant dans la vie locale de sa région en devenant juge de paix en octobre 1947 et en intégrant le « comité pour la préservation du Kent rural ».

Harold, qui continue à vivre à Londres après avoir perdu son siège au Parlement britannique en 1945, ne la rejoint que le weekend. Une nouvelle défaite électorale en 1948 met fin à sa carrière politique. Comme Vita, il s’investit de plus en plus dans l’administration du National Trust (une association qui gère et entretient des propriétés, des monuments ou des espaces naturels appartenant au patrimoine anglais) et devient membre du comité exécutif. Il publie régulièrement des articles dans le magazine politique « The Spectator » et dans le journal « Le Figaro ». En 1948, il accepte d’écrire la biographie officielle de Georges V pour laquelle il sera anobli.

Vita ne parvient pas à s’adapter aux évolutions de la société et s’arcboute sur une vision classiste, presque féodale, du monde. Sissinghurst et ses jardins lui semblent plus que jamais un refuge, un moyen d’échapper à la réalité. Son besoin de solitude cache un mal-être psychologique plus profond. Elle souffre toujours de dépression, abuse de l’alcool pour gérer ses angoisses et répugne désormais à rencontrer toute personne extérieure à son petit cercle de familiers. Toujours courtisée, elle continue cependant d’entretenir diverses liaisons avec des femmes de son entourage proche : des amies, des voisines ou même des visiteuses des jardins de Sissinghurst.

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Vita en 1957, photo de Walter Stoneman © National Portrait Gallery, London (Licence CC BY-NC-ND 3.0)

À une exception près – une visite de la reine venue admirer ses jardins en 1952 – Vita ne porte plus que des pantalons et des guêtres, des vêtements dans lesquels elle devait se sentir pleinement elle-même. Cette tenue n’est pas sans rappeler les circonstances de sa prise de conscience de la journée du 18 avril 1918 qui provoqua le début de sa liaison avec Violet.

Vita continue à écrire, mais rencontre bien plus de difficultés qu’auparavant. Celle qui suscitait l’admiration de Virginia Woolf en produisant « quinze pages par jour » peine désormais à terminer ses projets. En 1942, Leonard Woolf refuse de publier à la Hogarth Press son roman « Grand Canyon » qui recevra des critiques très mitigées. Durant la guerre, Vita travaille également sur une double biographie de Thérèse de Lisieux et Thérèse d’Avila intitulée « The Eagle and the Dove », qui l’aide à surmonter la dépression causée par cette période difficile, et notamment la perte de Virginia Woolf. Son dernier recueil de poèmes, « The Garden » est récompensé en 1946 par le prix W.H Heinemann.  

La même année se réunit un comité de la Société des auteurs — dans lequel siège Vita — afin d’établir une sélection de poèmes en vue d’une lecture en présence de la reine Elizabeth et de la princesse Margaret. Le nom de Vita n’est proposé par aucun des membres du comité, ce qu’elle considère à la fois comme un camouflet et une terrible blessure. Le jugement implacable de ses pairs présage l’oubli dans lequel sombrera très vite sa poésie. « Ils m’ont détruite à jamais ce jour-là », juge Vita qui ne s’est jamais considérée comme une romancière très talentueuse, mais qui a toujours rêvé de devenir une grande poétesse. « Ma poésie n’était pas assez bonne » conclut Vita. « Cela a eu cet effet sur moi que je ne n’ai plus jamais écrit un seul vers après ça » 5.

«The Observer»

En septembre 1946, Vita commence à rédiger un article hebdomadaire sur le jardinage pour le journal « The Observer ». Cette colonne, qu’elle assurera chaque semaine jusqu’en 1961, lui permet d’acquérir une grande popularité et lui vaut une quantité impressionnante de courrier des lecteurs. Vita, l’indécrottable snob, parvient à tisser une relation familière et chaleureuse avec ses lecteurs, tout comme avec les visiteurs des jardins de Sissinghurst. C’est loin d’être la seule contradiction de Vita qui fut, durant toute sa vie, à la fois rebelle et conformiste, timide et charismatique, courageuse et timorée.  

En 1947, Vita est honorée par la Société royale de littérature et est nommée « Companion of honour ». Elle tire cependant bien plus de satisfaction de la « Veitch Memorial Medal » qui lui est attribuée par la Société royale d’horticulture en 1954.

En 1947, elle publie un thriller « Devil at Westease » qui ne sortira qu’aux États-Unis, et un roman intitulé « the Easter Party » en 1953.  

À partir de 1952, Vita connaît de nombreux problèmes de santé. Elle souffre d’arthrite depuis la fin de la guerre, est alitée durant plusieurs semaines à la suite d’une grippe puis d’une pneumonie, est victime d’une attaque cardiaque…

Vita et Harold s’offrent plusieurs croisières durant les dernières années de leurs vies. C’est à l’occasion de l’une d’entre elles, en 1960, que Vita écrit son dernier roman, « No Signposts in the Sea ».

Atteinte d’un cancer, Vita Sackville-West meurt le 2 juin 1962 à Sissinghurst, à l’âge de soixante-dix ans.

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Jardins de Sissinghurst © Tony Hisgett (Licence CC BY-SA 2.0)

Quelques photos supplémentaires :

À partir des années 1930, la plupart des photos de Vita ne sont plus dans le domaine public ou sous licence Creative Commons. Voici donc quelques liens :

1) Vita devant l’entrée du château de Sissinghurst, par John Gay, 1948. Après la cape et la toge grecque de Natalie Clifford Barney, le manteau jeté sur les épaules est-il dyke Camp ? Je vous laisse y réfléchir.

2) Vita (et ses fameuses guêtres) assise sur les marches du château de Sissinghurst, par Cecil Beaton, 1958

3) L’une de mes photos préférées de Vita, avec chapeau de paille, par Gisèle Freund

Photo illustrant l’article : Chateau de Sissinghurst : entrée principale ©Tony Hisgett (CC BY 2.0)

NOTES

  1. « Evelyn Irons», écrit par Laura Darling pour « Making queer history» https://www.makingqueerhistory.com/articles/2019/7/28/evelyn-irons []
  2. « Virginia Woolf, Journal intégral 1915-1941 », traduit par Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre, éd. Stock 2008, p.1116[]
  3. « Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, dans l’introduction de la nouvelle édition de 2018[]
  4. « Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, p.287[]
  5. « Vita, the Life of Vita Sackville-West », écrit par Victoria Glendinning, ed. Penguin Books, 1984, p.342[]
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