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Natalie Clifford Barney – Épisode 9 – « Un nouveau départ »

Durant la seconde moitié des années 1900, Natalie Barney perd, dans des circonstances très différentes, deux femmes qui ont joué un rôle essentiel dans sa vie. En 1908, elle quitte également sa maison de Neuilly et s’installe au 20 rue Jacob, une adresse emblématique qu’elle va conserver pendant soixante ans.      

Une loyauté bien mal récompensée

Installée à quelques pas de Natalie, Eva Palmer cherche sa voie. Elle tente sans grand succès de percer dans le théâtre et apparaît souvent dans les spectacles de danses, les saynètes ou les pantomimes organisés par Natalie dans les jardins de sa maison de Neuilly,.

Eva fait preuve d’une grande loyauté à l’égard de Natalie, mais sa fidélité est rarement récompensée. Natalie continue à l’utiliser sans vergogne, tout en la critiquant parfois avec cruauté. Elle se montre aussi extrêmement possessive, ce qui ne l’empêche pas de revendiquer pour elle-même une liberté totale.

En 1905, Eva se rapproche de Raymond Duncan (le frère de la danseuse Isadora Ducan, une amie de Natalie) et de son épouse Penelope. Tous trois partagent la fascination d’Eva pour une Grèce antique et fantasmée. Eva héberge le couple durant quelque temps dans sa maison de Neuilly, puis fait un voyage en Grèce en leur compagnie. C’est là qu’elle rencontre le frère de Penelope, Angelos Sikelianos, un jeune poète de dix ans son cadet habité par son ambition de faire revivre l’esprit de la Grèce ancienne.

Sikelianos
Angelos Sikelianos vers 1905

Eva et Angelos entament une liaison que Natalie voit d’un très mauvais œil. Inquiète comme toujours de perdre Eva, elle commet une grave erreur en choisissant de se montrer méprisante et même grossière à l’égard d’Angelos. Conciliante, Eva tente dans un premier temps de rassurer Natalie : « J’aime son pays, son peuple, son langage et surtout ses rêves » lui explique-t-elle. « Ma punition, c’est que je ne suis pas amoureuse de lui. Sa punition est que je lui ai menti, et que je lui ai dit que je tenais plus à lui qu’à toi » 1. Malgré cette confession, Natalie s’entête et veut forcer Eva à rompre. Pour Eva, c’est un déchirement. Elle aurait souhaité que Natalie soit heureuse pour elle. Cette fois, elle refuse d’obéir mais aussi de pardonner, et décide de couper tout lien avec Natalie.

Nous étions toutes deux libres comme l’air, nous aurions pu aller dans n’importe quel bel endroit pour nous consacrer à des choses nobles, et… Tu as tenté de me cantonner à une vie publique et privée qui m’allait mal, comme des chaussures trop petites. J’ai couru après toi pendant des années comme une femme en talons hauts qui a mal aux pieds, mais qui est trop fière pour l’avouer (…) Je suis fatiguée de toi et de toutes ces petites choses auxquelles tu tiens. Tu es accro à tes petites passions et tes petits souvenirs comme tous les consommateurs de morphine, de chloral, de valériane et d’absinthe que tu fréquentes.

Cité dans « Wild Heart. A Life. Natalie Clifford Barney’s Journey from Victorian America to Belle Époque Paris », écrit par Suzanne Rodriguez, éd HarperCollins, 2002, p.170

Eva épouse Angelos Sikelianos en 1907 et part vivre en Grèce avec lui. Tous deux se consacreront à leur rêve de redonner vie aux traditions et à la culture de la Grèce antique. Natalie et Eva ne se reverront qu’à la fin des années 1930.

«Une femme m’apparut»

Natalie n’a toujours pas renoncé à Pauline Tarn/Renée Vivien qu’elle continue à harceler avec entêtement. Jalouse, elle critique et colporte des rumeurs au sujet de sa compagne, Hélène de Zuylen. Ces mesquineries parviennent aux oreilles de Pauline qui n’apprécie pas le comportement de Natalie et qui le lui fait savoir :

Laisse-moi à ma destinée, comme je te laisse à la tienne, – et si tu ne veux pas que je te haïsse, laisse mon Amie tranquille – je l’aime, je lui appartiens, et je ne souffrirai pas qu’on lui cause le plus léger souci.

Cité dans « Tes blessures sont plus douces que leurs caresses », écrit par Jean-Paul Goujon, éd. Régine Deforges, 1986, p.259

La relation apaisée que Pauline entretient avec Hélène de Zuylen lui offre une stabilité émotionnelle qui se traduit notamment par une période d’intense créativité littéraire. Durant la seule année 1903, Pauline publie pas moins de sept livres, dont une traduction de Sappho augmentée de textes de sa composition. Inconnue en 1901, Pauline a désormais acquis une certaine renommée et obtenu des critiques élogieuses.  

Pauline n’est cependant pas tout à fait comblée par sa liaison avec Hélène de Zuylen et demeure hantée par le souvenir de Natalie qui incarne à ses yeux un idéal inaccessible et inégalé, presque une chimère. Cette incertitude émotionnelle donne naissance en 1904 à un roman intitulé « Une femme m’apparut ». Mal accueilli par la critique, ce livre est à la fois une confession, un songe poétique et un roman à clé dans lequel Pauline fait un portrait au vitriol de Natalie. Soixante ans plus tard, celle-ci n’a toujours pas digéré l’affront.

Influencée par le mauvais goût de notre « belle époque », elle me donna l’impression de céder aux pires faiblesses de « l’art nouveau ». Ce poète ne possède guère le don du romancier et ne peut, par conséquent, prêter vie ni à l’une ni à l’autre de ses héroïnes. (…) J’ai la pénible impression d’avoir posé pour un mauvais portraitiste. Je me demande encore comment un tel poète a pu écrire une telle prose.

« Chère Natalie Barney », écrit par Jean Chalon, éd. Flammarion, 1992

« Une femme m’apparut » est cependant bien plus complexe qu’une simple vengeance littéraire. Le personnage de « Vally » qui représente Natalie Barney a beau être indifférent et égoïste, voire cruel, il n’en inspire pas moins à la narratrice, qui n’est autre que Pauline, l’adoration craintive que l’on réserve aux déesses.

Je traversai deux semaines d’éblouissement craintif auprès de Vally. Je connus la stupeur d’un acolyte ivre de parfums sacrés.

Renée Vivien, « Une femme m’apparut », ed. A. Lemerre, 1904
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Illustration de Lévy-Dhurmer pour la couverture du roman « Une Femme m’apparut », de Renée Vivien, ed. A. Lemerre

 «Je me souviens»

Au début de l’été 1904, Pauline fait savoir à Natalie qu’elle se rendra seule au Festival de Bayreuth. Il s’agit là d’une invitation à peine voilée à la rejoindre. Natalie saisit cette occasion inespérée et prend une nouvelle fois la place d’Eva Palmer dans la loge de Pauline. Toutes deux écoutent la musique de Wagner main dans la main. Pressentant que la littérature pourrait l’aider à reconquérir Pauline, Natalie lui offre un long poème en prose aux accents lyriques, intitulé « Je me souviens », qui lui est entièrement dédié. Sa lecture n’est malheureusement pas suffisante pour vaincre les réticences et les inquiétudes de Pauline. La rencontre de Bayreuth marque cependant la reprise de leurs relations – épistolaires dans un premier temps.

Toutes deux semblent partager le même sentiment :

Ne pouvant vivre ni avec ni sans elle, je ne sais ce qui me fut le plus pénible : nos rencontres menacées, nos séparations, ou nos tentatives d’infidélité (…) Détachées, puis irrésistiblement attirées l’une vers l’autre pour nous reperdre de nouveau, notre amour persistant subit toutes les phases d’un attachement mortel que, peut-être, la mort seule pourrait conclure.

« Souvenirs indiscrets », écrit par Natalie Clifford Barney, éd. Flammarion, 1960

Un sentiment qui fait écho à cette lettre de Pauline :

Ma très Blonde, ta lettre m’a été d’une douceur cruelle, j’ai pleuré en la lisant, et quelque chose en moi s’est réjoui malgré tout de penser qu’entre nous le lien d’amour est si puissant et subtil que la Mort seule pourra le dénouer tout à fait, si la Mort est définitive.

Cité dans « Tes blessures sont plus douces que leurs caresses », écrit par Jean-Paul Goujon, éd. Régine Deforges, 1986, p.292

Mytilène

Natalie et Pauline se retrouvent réellement un an plus tard, à l’occasion d’un voyage sur les traces de Sappho, à Mytilène, sur l’île de Lesbos. En août 1905, elles se donnent rendez-vous à Vienne et embarquent à bord du célèbre Orient-Express qui les mène jusqu’à Constantinople. De là, elles rejoignent Mytilène en bateau. À cette époque, l’île de Lesbos, qui appartient à la Turquie, n’est pas facilement accessible et très peu visitée. Pauline et Natalie n’ont donc que quelques images fantasmées en tête. Alors que les rivages de l’île mystérieuse et sacrée de Sappho commencent à se dessiner dans l’aube brumeuse, la modernité se rappelle bruyamment et vulgairement à elles. Le phonographe du port se met à crachoter la chanson populaire « Viens, poupoule, viens ! », provoquant la colère de Pauline dont le rêve est quelque peu ébréché.

À Mytilène, Natalie et Pauline séjournent à l’hôtel, puis louent deux villas réunies par un verger. Pauline s’installe dans la plus grande, et Natalie se réserve la plus petite. Les jours passés à Mytilène sont l’occasion de retrouvailles amoureuses dont Pauline gardera un souvenir ému qu’elle évoquera dans ses lettres à Natalie ou dans certains poèmes de son recueil « À l’heure des mains jointes ».

Je pense à toi, je pense à toi, par ce beau soir triste… par cette belle et lente brume… Je me souviens du verger de Mytilène où nous retournerons un jour, et des jasmins de Smyrne, et du Parthénon dans la nuit… Je me souviens du joueur errant de petites flûtes asiatiques, et de la lune sur la mer et de l’île fantomatique… de l’île du Passé, si pâle dans le crépuscule. Et de tout et de tout… Mais surtout, je me souviens de cette merveilleuse et première nuit à Mytilène, la nuit où nous nous sommes rejointes et retrouvées.

Extrait d’une lettre de Renée Vivien à Natalie Barney. Source : Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. NAF 26582

La fin du rêve

Dans l’euphorie du moment, Pauline promet à Natalie de rompre avec Hélène de Zuylen, mais un simple télégramme de cette dernière suffit à la faire replonger dans les affres du doute. Dans son message, Hélène de Zuylen lui annonce son intention de la rejoindre à Mytilène. Catastrophée, Pauline s’empresse de lui répondre pour l’en dissuader, prétendant être déjà sur le chemin du retour. Natalie et Pauline quittent immédiatement Mytilène et rentrent à Paris.

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Constantinople, 1890/1900 – source Library of Congress

Pauline envisage un temps de s’installer à Neuilly près de Natalie qu’elle charge de lui trouver une maison. Mais après une période d’hésitations et de revirements, elle renonce finalement à rompre avec Hélène de Zuylen. Plus lucide que Natalie, Pauline a compris depuis bien longtemps que leur histoire d’amour était vouée à l’échec et qu’il était impossible de « jouer sa vie deux fois. »

Début 1906, Pauline publie une deuxième version de son roman, « Une femme m’apparut ». Un peu moins virulente à l’égard de Natalie, cette nouvelle mouture prouve à la fois que les relations entre les deux femmes se sont apaisées, mais aussi que Pauline est toujours paralysée par l’incertitude. En réalité, elle est même déchirée entre trois femmes, puisqu’elle entretient depuis 1904 une correspondance passionnée, entrecoupée de rares rencontres, avec une femme turque habitant à Constantinople : Kérimé Turkhan-Pacha.

Pauline est sans doute à la recherche d’émotions exaltées que sa relation dépassionnée avec Hélène de Zuylen ne peut lui offrir. Mais elle n’a rien d’une intrigante ou d’une séductrice. Là où Natalie Barney multiplie les conquêtes avec un succès arrogant – et sans jamais en pâtir –, Pauline ne fait que créer les conditions de son propre malheur.

Durant les années suivantes, la relation entre Natalie et Pauline s’essouffle. Elles continuent à se voir et à s’écrire pendant quelque temps, puis prennent peu à peu leurs distances. Natalie a compris que leur histoire d’amour était terminée. Renonçant définitivement à Pauline, elle se tourne comme à son habitude vers de nouvelles liaisons.  

Une longue descente aux enfers

Pour fuir ses contradictions et échapper à un profond mal-être, Pauline s’étourdit et s’épuise dans des voyages incessants. Sa consommation et sa dépendance à l’alcool s’aggravent, tout comme sa tendance à l’anorexie. Elle est également très affectée par la lesbophobie dont elle est victime, à la fois dans sa vie privée et dans sa vie publique. Lors de ses sorties en compagnie d’Hélène de Zuylen, elle est victime de moqueries, de regards hostiles, de rumeurs et de remarques désobligeantes. La critique, qui a bien accueilli ses premiers ouvrages, se montre à partir de 1904 hostile, violente et même insultante. Bien trop ouvertement féministes et lesbiennes, la poésie et la prose de Pauline provoquent des réactions d’incompréhension et de rejet. Profondément blessée, Pauline ira jusqu’à cesser toute publication, à part pour ses intimes, et retirera ses livres des rayons des librairies.

Lassée, peut-être, des imbroglios amoureux dans lesquels Pauline est enlisée, Hélène de Zuylen la quitte en 1907 pour une autre femme. À peu près à la même période, c’est au tour de Kérimé Turkhan-Pacha de mettre fin à leur liaison. Souffrant d’isolement et de solitude, tourmentée par un sentiment de persécution, Pauline se livre à une minutieuse entreprise d’autodestruction. Durant l’été 1909, elle fait une tentative de suicide en ingérant une forte dose de laudanum. Elle est sauvée par l’intervention d’une femme de chambre, mais garde de graves séquelles. Son état de santé se détériore très vite, aggravé par l’anorexie ainsi que par sa consommation d’alcool et de chloral. Le biographe de Pauline, Jean-Paul Goujon, dresse un portrait poignant de ses derniers mois de vie 2. Pauline souffre d’amnésie, de douleurs d’estomac, de troubles de la vue, de dysenterie, de paralysies partielles. À tel point qu’Hélène de Zuylen se rapproche à nouveau d’elle pour jouer les gardes malades et tenter de lui venir en aide.

À la recherche d’une nouvelle adresse

Durant toute cette période extrêmement difficile pour Pauline, Natalie brille par son absence. Elle est occupée à poursuivre, au sens propre, de nouvelles conquêtes. Par exemple l’actrice Henriette Roggers qu’elle a suivie sans grand succès jusqu’à Saint-Pétersbourg. À partir de 1908, Natalie cherche également à quitter sa villa de Neuilly. Dans « Souvenirs indiscrets », elle explique que son intention était de trouver une nouvelle demeure, vierge de tout mauvais souvenirs, afin d’y recevoir Pauline qui hésitait encore à rompre avec Hélène de Zuylen. Cette affirmation paraît peu crédible, puisqu’en 1908, les relations entre Natalie et Pauline s’étaient déjà considérablement refroidies. Natalie, désormais âgée de trente-deux ans, était plus probablement en quête d’un nouveau départ et d’un nouveau cadre de vie. Un conflit avec son propriétaire de Neuilly, qui appréciait modérément les « fêtes saphiques » qu’elle célébrait dans son jardin, aurait rendu Natalie furieuse et l’aurait définitivement convaincue de lui donner son congé.

Grâce à Lucie Delarue-Mardrus, Natalie découvre dans le sixième arrondissement de Paris une maison à louer, qualifiée de « pavillon », pour laquelle elle a un véritable coup de foudre. Elle s’y installe à la fin de l’année 1908 et y demeurera jusqu’en 1970.

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Le pavillon de Natalie au 20 rue Jacob vers 1910 – Photo Eugène Atget, reproduction : Baptiste Essevaz-Roulet (via Rue Visconti)

Le 20 rue Jacob

Le pavillon loué par Natalie se trouve au fond de la cour d’un immeuble de quatre étages donnant sur la rue Jacob – qui, selon l’artiste Eyre de Lanux, était encore dans les années 1920-1930 revêtue de sa patine de poussière du XVIIIe siècle 3. D’après la légende, le pavillon aurait été édifié par Maurice de Saxe, maréchal général des armées de Louis XV, à l’attention de son amante, la célèbre comédienne Adrienne Lecouvreur. À droite du bâtiment, une grille en fer forgé donne accès à un jardin planté de hauts arbres. Invisible depuis la rue, cette forêt miniature nichée au cœur de Paris est l’un des grands atouts de la maison. Au fond de ce jardin se cache une autre surprise qui ne cessera de fasciner les visiteurs : un petit temple à colonnes doriques surmonté de deux inscriptions : « À l’amitié » et un mystérieux « DLV ». Accolés au pavillon, une véranda et un appentis font également partie de la propriété.

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Le temple de l’amitié photo Eugène Atget, reproduction : Baptiste Essevaz-Roulet (Via Rue Visconti)

Si vous voulez tout savoir au sujet du 20 rue Jacob, du temple de l’amitié et des légendes qui lui sont attachées, je vous recommande de lire l’article qui leur est consacré sur le blog « Rue Visconti« 

Le pavillon s’élève sur deux niveaux. Le rez-de-chaussée comporte une cuisine, un salon et une salle à manger qui donne sur le jardin. À l’étage se trouvent la chambre de Natalie, une chambre d’amie, une penderie et deux petits cabinets de toilette.

Natalie n’est intéressée ni par les modes ni par la décoration. Pour son nouveau pavillon, elle achète très peu de meubles et préfère en récupérer auprès de sa mère et de sa sœur. Elle fait tendre le rez-de-chaussée de damas rose qui se fanera lentement au fil des décennies. Sa chambre est bleue, du sol au plafond, y compris son lit. Sur le parquet repose une grande peau d’ours blanc qui lui a donné Liane de Pougy. Un cabinet noir renferme toute sa correspondance et ses photos. Dans son pavillon, Natalie rassemble des objets auxquels elle tient : des instruments de musique, un miroir à trois faces, un coffre espagnol fermé par deux sirènes de cuivre, une tapisserie persane offerte par Robert de Montesquiou… Aux murs, elle accroche ses deux portraits peints par Carolus-Duran et ceux de ses amies/amantes réalisés par sa mère.

Un «musée de province»

Compte tenu de sa fortune, le pavillon de Natalie est relativement modeste, et le confort sommaire. Berthe Cleyrergue, sa gouvernante qui entrera à son service en 1927, se plaignait de cette maison difficile à entretenir, car vieillotte et poussiéreuse. Natalie, qui déteste les odeurs de peinture, interdisait qu’on la repeigne. « Miss Barney m’empêchait de toucher à ses objets. Je ne pouvais pas déplacer un seul livre. Je me contentais de passer le plumeau » 4. À l’arrivée de Berthe, l’électricité n’est pas installée. L’éclairage se fait à la bougie ou au gaz. Quant au chauffage, il provient de différentes sources : une vieille cuisinière dans la cuisine, une cuisinière à charbon pour la salle de bain, un chauffage au gaz pour les autres pièces de la maison.

En général, Natalie ne passe que les printemps et les automnes dans son pavillon, se réfugiant dans des régions au climat plus clément le reste de l’année. Dans son salon, il fait si froid et humide que Dolly Wilde, qui a vécu quelque temps chez Natalie dans les années 1930, plaisantait en affirmant que des huitres poussaient sous les chaises 5.

Dolly qualifiait également la décoration bric-à-brac de Natalie de « musée de province » 6. Encore moins charitable, Truman Capote parlait d’un décor fin de siècle, à mi-chemin entre une chapelle et une maison close 7.

Démodés dès les années 1910 – ou au choix, intemporels – le pavillon du 20 rue Jacob, sa décoration, son jardin et son temple sont définitivement associés à la personnalité hors norme de Natalie.

Quelques mois après son installation au 20 rue Jacob, Natalie fait une nouvelle rencontre qui va donner lieu à l’une de ses plus belles et de ses plus longues histoires d’amour : Élisabeth de Gramont.

Poursuivre la lecture – épisode 10

Image illustrant l’article : Affiche publicitaire pour l’Orient-Express Londres-Paris-Constantinople, 1888-1889

Notes

  1. Cité dans « Wild Heart. A Life. Natalie Clifford Barney’s Journey from Victorian America to Belle Époque Paris », écrit par Suzanne Rodriguez, éd HarperCollins, 2002, p.170[]
  2. Voir « Tes blessures sont plus douces que leurs caresses », écrit par Jean-Paul Goujon, éd. Régine Deforges, 1986[]
  3. « The Amazon of Letters : the life and loves of Natalie Barney », écrit par George Wickes, éd. Putnam, 1976, p. 269[]
  4. « Un demi-siècle auprès de l’Amazone, mémoires de Berthe Cleyrergue ». Souvenirs recueillis et préface par Michèle Causse, éditions Tierce, 1980[]
  5. « The Amazon of Letters : the life and loves of Natalie Barney », écrit par George Wickes, éd. Putnam, 1976, p. 298[]
  6. « Truly Wilde : The Unsettling Story Of Dolly Wilde, Oscar’s Unusual Niece », écrit par Joan Schenkar, Virago Press, 2000, p.177[]
  7. « The Amazon of Letters : the life and loves of Natalie Barney », écrit par George Wickes, éd. Putnam, 1976, p. 286[]
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